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Yonne Altermondialiste
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19 janvier 2011

La Révolution de la dignité !

La vidéosurveillance est inversée. Ce n’est pas la police qui surveille la rue, mais la rue qui surveille la police. Des milliers de téléphones portables sont brandis au-dessus des têtes pour filmer les charges policières, les exactions, et pour pleurer les victimes. La foule a des yeux partout. Elle poste sur le Web des kyrielles de vidéos accusatrices pour les forces de l’ordre, elle partage les photos des manifestations sur Flickr, elle se donne rendez-vous pour les rassemblements du lendemain via Twitter. Quoi qu’il advienne dans la Tunisie de demain, les nouvelles technologies et les réseaux sociaux auront infléchi le cours de l’histoire.

Pourtant réputé pour son contrôle étroit d’internet, le pouvoir benaliste a été débordé par les « geeks » et leur inventivité. Mokhtar a 22 ans, il réside encore chez ses parents à Bab Souika, un quartier du nord de Tunis, et entend bien devenir ingénieur. « Il faut comprendre que les jeunes d’ici sont aussi avancés que les Occidentaux sur la maîtrise des nouvelles technologies ! On fait tous des études. On devient au minimum technicien supérieur. Internet, on sait faire », lance-t-il. Il y aurait entre un et deux millions de comptes Facebook en Tunisie, un pays de 10,5 millions d’habitants.

« On a chassé la peur »

« Depuis le début des événements, je dors trois heures par nuit. Je suis branché en permanence sur Al-Jeezira et France 24, j’écoute une nouvelle radio très courageuse qui s’appelle Express FM et qui s’est résolument engagée contre le régime, je pianote sur l’ordinateur. Tout ce que j’ai appris sur les manifestations de Sidi Bouzid, je le dois aux réseaux sociaux. Et le fait de nous retrouver très nombreux sur internet nous a donné encore plus de force. C’est comme ça qu’on a chassé la peur », témoigne de son côté Ali, un jeune qui portait haut une pancarte « liberté » dans la manifestation de vendredi.

Les « reportages » sur les martyrs du mouvement ont fait le buzz depuis les derniers jours de décembre. Une autre vidéo a fait enfler la lame de fond qui a précipité les jeunes dans la rue. On y voit une foule pacifique devant le ministère de l’Intérieur, à Tunis. Un homme crie « dégage » à l’intention du pouvoir, puis cinq, puis dix, puis mille. Elle dépeint un pays qui se lève.

Le contresens de Ben Ali

Le pouvoir a bien tenté d’enrayer le flot. De nombreux sites ont été verrouillés depuis le début des troubles, il y a un mois. You Tube et Facebook ont été bloqués, entre autres. Blogueuse célébrissime en Tunisie, la jeune Lina Ben Mhennis a poursuivi son travail de sape sur atunisiangirl.blogspot.com, multipliant les messages d’espoir et les dénonciations des violences policières.

Lors de sa dernière allocution télévisée, jeudi soir, Ben Ali a tenté de retourner la population en promettant de faire sauter les obstacles qui interdisaient périodiquement l’accès aux réseaux sociaux. Ce fut fait le soir même. Mal lui en a pris. Dans la nuit qui a suivi, les nouvelles ont circulé à toute vapeur sur le réseau. Elles annonçaient la mobilisation du lendemain et, in fine, préparaient la chute du président. Les Iraniens l’ont rêvé il y a dix-huit mois, les Tunisiens l’ont fait.

Après le départ du despote Ben Ali, c’est l’heure du grand déballage en Tunisie, y compris en France. Si les monarques Africains, en particulier dans les pays Arabes, peuvent trembler en raison d’une éventuelle contagion révolutionnaire, il y a des dirigeants français qui peuvent également craindre pour leur "pouvoir". D’autant plus que la France officielle a soutenu Ben Ali jusqu’à la dernière minute. Qui a oublié les propos scabreux de la ministre des Affaires étrangères proposant une aide sécuritaire au pouvoir honni ?

Tunisie : MAM "devrait s’excuser" pour ses propos, juge Duflot (AFP) - Il y a 2 heures PARIS - La secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Cécile Duflot, a estimé dimanche que la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, "devrait s’excuser" d’avoir proposé cette semaine d’aider la Tunisie à "régler les situations sécuritaires". "Il y a beaucoup de gens qui demandent sa démission, Michèle Alliot-Marie devrait s’excuser auprès des Tunisiens parce que c’est inacceptable d’avoir tenu de tels propos", a déclaré la leader écologiste, invitée de l’émission "BFMTV 2012/RMC/Le Point" En déplorant les violences en Tunisie devant l’Assemblée mardi dernier, —trois jours avant la chute du président tunisien Zine el Abidine Ben Ali—, Michèle Alliot-Marie avait proposé une coopération française à ce pays en matière de maintien de l’ordre et de gestion des manifestations. Elle avait ainsi suggéré que "le savoir faire, reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type". Le secrétaire national du PS à la coopération et aux Droits de l’Homme, Pouria Amirshahi, a demandé samedi la démission de la ministre. La veille, Olivier Besancenot (NPA) avait estimé que Mme Alliot-Marie devait "s’excuser ou démissionner". "Ces derniers jours, c’était extrêmement pénible de voir à quel point le gouvernement français a soutenu le dictateur (Ben Ali, ndlr) jusqu’à la dernière minute", a ajouté Mme Duflot. Selon elle, aujourd’hui "ce qui se passe en Tunisie (...) c’est le vrai moment d’indépendance, le vrai moment de rupture avec ce passé colonial". "Le lien (de la France) avec Ben Ali (...) l’aide à son maintien, le fait de fermer les yeux sur ses abus de pouvoir, c’était en quelque sorte la poursuite d’un lien colonial, là c’est le peuple tunisien lui-même qui a repris son destin en main", a-t-elle encore fait valoir.

Qui a oublié les propos d’un Nicolas Sarkozy qui estimait que la Tunisie était plus avancée que nombre de pays, Qui a oublié les félicitations d’un Strauss Kahn, décoré après avoir vanté le " modèle tunisien"

Et que dire des mots d’un Frédéric Mitterrand, qui défendait bec et ongles sa deuxième patrie ? " Dire que la Tunisie est une dictature univoque comme on le fait si souvent me semble tout à fait exagéré ", avait-il notamment déclaré le 10 janvier dernier sur Canal +. Le ministre de la culture a t-il choisi son camp pour protéger des acquis en Tunisie, notamment sa villa luxueuse à Tabarka sur le bord de la mer ?

Sans compter le Ministre de l’immigration français qui se marie avec une tunisienne de 23ans. On ne parle que de ça dans les journaux et notamment le quotidien « Le Parisien » qui vient d’annoncer le mariage du ministre français de l’immigration Eric Besson (52 ans) avec une jeune tunisienne de 23 ans. L’heureuse élue est Yasmine Tordjman, agée de 23 ans, étudiante à Paris, est l’arrière petite fille de Mme Wassila Bourguiba, la femme de l’ancien président Mr Habib Bourguiba. Mr Besson a promis à la belle famille qu’il se convertira à l’Islam comme le veut la religion.

Aujourd’hui, comme tous les jours depuis la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali, on m’a posé vingt fois la même question : comment expliquer un ébranlement aussi profond en Tunisie - connue pour sa « stabilité » - et la chute soudaine de celui qui en tenait les rênes d’une main de fer ? Mille explications sont possibles. Mais je n’en retiendrais qu’une. La plus importante à mes yeux : le pouvoir de la clique maffieuse qui entourait le président déchu ne reposait sur aucun dispositif de consensus ou de consentement. Dit autrement, il n’avait aucune autorité morale sur la population. Or, aucun système politique ne peut résister à une absence aussi absolue d’autorité morale. Même dans les couches privilégiées de la population, y compris au sein de ceux qui bénéficiaient directement du régime de Ben Ali, celui-ci, son épouse, leurs proches, suscitaient autant la crainte que le mépris le plus total. Depuis son accession au pouvoir en novembre 1987, Ben Ali s’est attaché à construire une gigantesque machinerie de répression, de quadrillage, de contrôle et de clientélisation de la population. On a parfois parlé dans les journaux français de l’arrestation de militants politiques ou de responsables syndicalistes, de la torture pratiquée contre des opposants, des intimidations brutales dont ont été l’objet les défenseurs des droits humains, mais le principal de l’action policière se situait ailleurs : il concernait la grande masse de la population, soumise à une pression policière constante, celle des services du ministère de l’Intérieur, bien sûr, mais aussi celle des multiples milices officieuses, celle du Rassemblement constitutionnel démocratique, le RCD, qui n’est pas un parti comme les autres mais une annexe de l’Etat, chargé d’encadrer, de surveiller, de punir, d’acheter, de corrompre, de racketter, tout individu, dans n’importe quelle sphère de sa vie sociale. A ces institutions, il faut ajouter les structures de l’administration, celle que l’on pense au service du citoyen et qui pourtant ont servi, jusqu’à ce jour, à relayer de tout leur poids, les directives des sommets de l’Etat. Autrement dit, elles ont joué le rôle d’instances de répression, d’encadrement, de surveillance et de clientélisation. Le fonctionnement du ministère de la Justice est exemplaire de ce point de vue là. Il ne s’agit pas d’accuser tous les fonctionnaires, la plupart du temps de braves citoyens, mal rémunérés, travaillant dans des conditions désastreuses et eux-mêmes soumis à la toute-puissance de leurs supérieurs. Il s’agit de noter la faculté du système policier à faire de tout un chacun un complice et un relais du pouvoir. Que l’on ne se trompe pas : la mécanique policière et bureaucratique mise en place par Ben Ali n’avait pas pour seul but de susciter la peur et l’obéissance. Elle avait pour finalité, bien plus pernicieuse, bien plus efficace que la peur, d’assassiner en chaque individu ce qui fait son humanité. Ben Ali a construit un immense appareil destiné à briser la dignité des Tunisiens ; il a développé une formidable technologie de l’indignité. La compromission voire la complicité, la corruption, les milles magouilles honteuses souvent indispensables pour survivre ou avoir tout simplement la paix, ont été des mécanismes parmi d’autres de la construction systématique de l’indignité. Le mépris total du pouvoir à l’égard du peuple, il fallait que toute la société l’éprouve pour elle-même, il fallait que tout individu l’éprouve pour ses semblables et pour lui-même. Je le répète : la répression et la peur n’aurait jamais suffi à préserver un pouvoir ne disposant d’aucune autorité morale. En l’absence d’une légitimité de cette nature, Ben Ali et sa bande de voyous ont fait un autre choix : détruire la morale, casser les solidarités, abolir le respect, généraliser le mépris, humilier, humilier et encore humilier. Vous n’êtes rien, vous ne serez jamais rien, des sous-hommes, voilà le message social et moral du régime benaliste. Bourguiba, passablement élitiste, considérait que les Tunisiens n’étaient qu’une « poussière d’individus » dont il allait se charger de faire une nation. Ben Ali, lui, a fait le pari contraire : transformer la nation en poussière d’individus. Ce pari a échoué, car la nation a refusé de devenir poussière. La boue du Palais de Carthage n’est jamais parvenue à submerger l’ensemble de la Tunisie. A mon avis, parler de la misère, des difficultés sociales, du besoin abstrait de libertés démocratiques ou encore de la répression comme simple fabrique de la peur ou de la soumission, ne permet de comprendre qu’une dimension réduite des événements qui se développent depuis un mois en Tunisie. Mohamed Bouazizi ne s’est pas donné la mort d’une manière si affreuse pour la seule raison qu’il n’avait pas d’emploi et qu’un agent municipal lui avait interdit de gagner quelques sous en vendant des légumes. Il s’est immolé par le feu parce qu’en lui crachant au visage, ce fonctionnaire lui a redit ce que le régime de Ben Ali nous disait tous les jours : tu n’es qu’une merde de chien ; je fais de toi ce que je veux ! Bouazizi en avait très certainement marre d’être pauvre, très pauvre. Il n’a pas supporté de n’être plus un être humain. Paix à son âme ; nous pensons tous à lui ; nous nous sommes tous identifiés à lui, quand bien même certains d’entre nous ont un emploi et vivent confortablement. La force motrice de la révolution tunisienne n’a pas eu d’autres objectifs, en chassant le tyran, de rendre à Bouazizi la dignité qu’on lui refusait. Les Tunisiens ont-ils revendiqué des augmentations de salaires ? La liberté de la presse ? Un nouveau droit quelconque ? Non, ils ont exprimé leur dignité ; ils ont affirmé que leur dignité exigeait le départ de Ben Ali. Et ils l’ont obtenu. L’eut-il compris il n’aurait pas perdu son temps à faire des concessions qui n’étaient concessions qu’à ses propres yeux : des réductions de prix, l’accès libre à internet, des élections puis finalement son départ dans trois ans ! Ubuesque. Ce qui était en jeu, c’était sa tête et immédiatement sa tête. Tout est-il fini ? Certainement pas. L’effervescence révolutionnaire ne s’est pas éteinte. Partout, la dignité continue de se battre contre l’indignité. Le peuple tunisien n’est plus composé d’individus qui résistent tant bien que mal pour préserver leur qualité d’être humain ; il est un corps collectif qui a en horreur l’idée que les hommes du régime benaliste et quelques politiciens, impatients de partager le gâteau du pouvoir, ne le dépossèdent de sa victoire. Le peuple tunisien n’a confiance qu’en lui-même et il a raison. Le deuxième acte de la révolution a pour enjeu la dissolution des institutions mises en place par l’ancien président - en premier lieu le RCD - et l’élection démocratique d’une assemblée constituante qui redonnera au peuple la souveraineté politique dont il a été privé depuis des décennies. Après, on verra. Sadri Khiari, le 17 janvier 2011

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