Daniel Mermet manipule-t-il ?

J'ai hésité avant d'écrire ces lignes et je suis mal à l'aise en les écrivant. On est toujours gêné quand il s'agit de signaler quelque chose chez quelqu'un qu'on admire. On est déçu de découvrir une tromperie probable mais On ne peut s'empêcher de penser que si l'on tire sur le fil, on va faire d'autres découvertes désagréables.

Voici de quoi il s'agit. Daniel Mermet consacre son émission de mercredi 2 mars 2011 au « Paris arabe ». Ayant longtemps vécu dans un quartier d'immigration nord-africaine de Paris, la Goutte d'Or, en l'occurrence, je m'attendais à entendre parler de l'évolution de ce quartier où je retourne chaque fois que je monte à Paris. Je m'attendais à entendre des reportages dans le quartier de Belleville où habitent mes parents ; encore que ce quartier est plutôt chinois à présent.

http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/labassijysuis/index.php?id=101985

Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre que l'émission se présentait sous la forme d'une promenade dans le Jardin Tropical du bois de Vincennes que je connais bien et où je me rends presque chaque année sur la route du retour ! Le Jardin Tropical, comme son nom l'indique est un jardin où l'on chercherait en vain une trace arabe significative. En fait, il a gardé son nom mais n'est plus qu'un grand jardin public en lisière du bois parisien. Des bambous rappellent la vocation première de l'espace.

Le site a été aménagé pour une exposition coloniale au début du siècle dernier. Des pavillons ont été construits pour exposer des éléments des différentes contrées colonisées, agrémentées de plantes tropicales. Une fois terminée l'Expo, des pavillons ont subsisté et le parc a été transformé en jardin botanique pour l'étude des plantes tropicales. Les guerres mondiales ont quelque peu bouleversé la vocation première puisque des monuments aux morts ont été érigés.

L'invité de Daniel Mermet, Pascal Blanchard, ne s'étend pas sur l'exposition coloniale ni sur le jardin tropical. Il décrit le lieu comme une sorte de camp de concentration pour les troupes coloniales (pourquoi seraient-elles là et non sur le champ de bataille ?) afin que les soldats ne se mélangent pas à la population parisienne. Il évoque l'hôpital militaire pour les seuls soldats coloniaux, toujours pour les mêmes raisons. Selon lui, ce jardin a surtout servi à parquer des Nord-Africains pour qu'ils ne se mêlent pas aux Parisiens. Il insiste sur ce point. Il conclut en affirmant qu'on attend que tout tombe en ruine de soi-même et que ça arrangerait bien tout le monde. D'ailleurs, les bâtiments qui ont servi aux recherche en agronomie tropicale sont en ruine. Tout n'est que ruine dans ce jardin envahi par les bambous.

S'il y a bien un lieu où la présence nord-africaine est absente, c'est le Jardin Tropical du bois de Vincennes. On peut s'en étonner, d'ailleurs. Ne subsiste de l'exposition coloniale que le pavillon de la Tunisie, transformé au fil des ans et abandonné comme tous les autres pavillons encore debout. Au début des années 2000, des vandales ont incendié le pavillon du Congo qui était en bois tropical. Un autre pavillon a été détruit de la même façon mais un autre l'a remplacé, c'est celui du Viet-Nam. On trouve encore des vestiges en assez bon état de construction indochinoises dont le portique à l'entrée du parc. Si le pavillon vietnamien a été reconstruit (mais pas à l'identique), c'est parce qu'il est devenu une sorte de pagode à la mémoire des soldats vietnamiens morts pendant la deuxième guerre mondiale. C'est que l'ensemble du Jardin est devenu un lieu de mémoire qui montre l'histoire ambiguë et douloureuse des relations de la France avec ses anciennes colonies. On trouvera des monuments aux « Noirs », « Indochinois », « Malagaches », morts pour la France. On ne trouve pas de trace d'un monument aux Nord-Africains morts pour la France. Il est vrai que, comme l'a souligné l'invité de l'émission de Daniel Mermet, Lyautey a fait construire la grande mosquée de Paris en hommage à ces troupes coloniales et qu'il n'y a pas eu pareil signe de reconnaissance envers les autres troupes coloniales. Les monuments érigés dans le Jardin Tropical ne sont que le minimum de la reconnaissance nationale. On peut penser, en effet, qu'on a voulu éloigner les monuments aux morts coloniaux de la capitale.

Quant aux bâtiments d'agronomie tropicale, ils ont été remis aux normes actuelles il y a un an ou deux. Ils abritent donc le centre René-Dumont du CIRAD.

http://www.cirad.fr/

Le dimanche, des familles emmènent leurs enfants jouer au ballon sur la pelouse devant les monuments aux morts. De toute évidence, la Ville de Paris, auquel appartient le Bois de Vincennes, est gênée par cet endroit. De là à affirmer qu'elle attend que tout tombe en ruine, il y a un pas. La présence des monuments aux morts empêche toute transformation des lieux qui pourraient amener un public peu soucieux de la mémoire collective voire qui commettrait des dégradations. La discrétion du site, son éloignement de la capitale en font un lieu presque fantomatique avec ses petites constructions abandonnées qui émergent des ronces et des bambous, seule plante tropicale qui a survécu et a proliféré.

Ce qui est gênant dans cette émission de Daniel Mermet, c'est que, si l'on ne connait pas le lieu, on va prendre pour argent comptant ce qui a été affirmé. On fait confiance à Daniel Mermet. On est content d'entendre, une petite heure par jour, un autre point de vue sur l'actualité et l'on se rend compte, souvent, que l'information officielle est plus que partielle et partiale. À travers cette émission sur le Jardin Tropical, le doute s'installe. Et si, ses reportages étaient aussi trompeurs que celui-ci ? Et s'il nous menait en bateau, lui aussi ; même si le bateau est différent ? Car enfin, consacrer une émission au « Paris arabe » et nous emmener dans un endroit où il n'y a rien d'arabe, où il n'y a aucune présence arabe, aucune vie humaine puisque ce n'est qu'un jardin public, c'est déjà une posture singulière. Ensuite, énoncer toute une série d'affirmations, sur l'histoire du lieu et son état actuel qu'une simple visite suffit à démentir est extrêmement troublant. Il sème le doute sur la démarche de Daniel Mermet et sur l'ensemble de ses reportages que l'on n'a pas la facilité de pouvoir vérifier aussi facilement qu'en se promenant dans le bois de Vincennes à Paris.

http://www.baudelet.net/paris/jardin-tropical.htm

http://parisestunjardin.unblog.fr/?p=121

http://parisisinvisible.blogspot.com/2010/09/ghosts-of-colonial-past.html