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16 mai 2011

Les Brésiliens de Belgique entre racisme, déportation et intégration

Mehmet Koksal

par Mehmet Koksal - Sunday 18 October 2009

Journaliste-reporter basé à Bruxelles, polyglotte, correspondant du Courrier International, Mehmet Koksal est co-fondateur de Minorités et un spécialiste de la question minoritaire en Europe.

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Il y a quelque chose de cyclique et romantique dans la trajectoire sociale des personnes issues de l'immigration qui tentent "leur chance" dans les pays de l'Union européenne. Un romantisme qui fait croire qu'il suffit d'être sur place pour enfin sortir de la misère même si seulement quelques-uns auront la chance de grimper de petits pas sur l'échelle sociale de la réussite tandis que beaucoup auront surtout la "chance" de se faire exploiter ou d'exploiter à crever l'inépuisable marché légal et illégal du travail. En tant que petit-fils d'un travailleur immigré turc, né et éduqué à Bruxelles au cœur des ghettos ethniques, j'ai toujours été interpellé par les différentes stratégies d'intégration économique, politique, culturelle et sociale des minorités en Europe. C'est à la fois passionnant et complexe tant les contradictions identitaires et les différences culturelles produisent souvent des paradoxes apparents tant pour les groupes concernés que pour la société en général.

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écemment, en discutant avec la réalisatrice belgo-brésilienne Susana Rossberg, j'ai été rapidement plongé dans l'univers méconnu de la communauté brésilienne de Belgique. Monteuse professionnelle ayant fui la dictature en 1967 pour s'installer définitivement à Bruxelles, Susana Rossberg a réalisé après 5 ans de recherche un film documentaire baptisé Brésiliens comme moi qui relate le parcours de ces Brésiliens... comme moi, filles ou fils issus de l'immigration pris au piège du déracinement identitaire qui touche principalement la première génération, la quête des droits de la seconde génération et la reconnaissance identitaire de la troisième génération face à une société qui espère essentiellement les assimiler vers le bas de l'échelle sociale. « Après mon exil, je n’ai pas remis les pieds au Brésil pendant dix-huit ans et demi » m'a raconté Susana.

 

« J’ai attendu tout ce temps par dégoût, par peur. Beaucoup de mes amis ont été torturés ou sont morts. Après l’amnistie, j’ai lu un livre à propos d’une amie décédée. J’ai constaté que je connaissais toutes les personnes dont on décrivait les sévices, la violente destinée. Comme pour beaucoup de Brésiliens, j’idéalisais le Brésil. Je ressentais la nostalgie des exilés. Je songeais par exemple à la température qui faisait au Brésil, l'accueil si chaleureux des habitants, à tel point que j'oubliais parfois les années de la dictature, les horreurs bureaucratiques ou encore l'inflation galopante que j'ai toujours connue pendant toute ma jeunesse. Mais je ne les oubliais pas au point d'oser rentrer chez moi. »

 

« Finalement, la dictature est arrivée à sa fin. Une grande partie des réfugiés politiques, amnistiés, est rentrée au Brésil. Moi, j’y suis allée pour voir ma tante favorite, mes amis. J’ai de suite compris que, si j’avais voulu m’y installer, je n’étais plus équipée pour y survivre. Mes amis étaient obligés d'avoir deux emplois, je ne comprenais d'ailleurs pas comment ils faisaient pour joindre les deux bouts. Pour les plus démunis, les allocations du chômage ou la pension ne leur permettaient pas de vivre. L’assurance médicale au Brésil coûte une fortune. Mais bon, à part cela, la température continue d'être aussi tropicale et les gens aussi accueillants. »

 

 

Nostalgie de la chaleur humaine

 

Cette nostalgie du pays d'origine idéalisée est un sentiment classique qui affecte la première vague des phénomènes migratoires. Chez les Turcs, les Arabes, les Noirs de la première génération aussi, tout le monde vous parlera de ce pays magnifique, au ciel ensoleillé, à l’accueil chaleureux et aux plats délicieux qu'ils ont été forcés de quitter pour venir travailler sous le ciel nuageux, l'accueil glacial et les nourritures infectes des pays occidentaux. C'est évidemment une comparaison passionnelle découlant du déracinement identitaire assez comparable aux relations amoureuses qu'on a pu avoir avec nos anciennes relations : on se rappelle souvent des meilleurs moments (soleil, nourriture, accueil) et on oublie les pires instants (dictature, inflation, torture).

 

« De fil en aiguille, je me suis aperçue que cette communauté brésilienne, que je croyais nouvelle, était déjà présente ici depuis une quinzaine d’années en Belgique et qu'elle s était bien organisée. Les Brésiliens arrivent en Belgique, via Paris, avec un visa touristique puis ils restent. Ils s’entassent dans des appartements bruxellois, parfois une famille par chambre, principalement dans les communes Forest, Saint-Gilles, Anderlecht et Ixelles. Ils choisissent souvent les lieux de prédilection de l’immigration portugaise parce que là, au moins, ils comprennent la langue. Alors qu’auparavant c'étaient les Portugais qui immigraient au Brésil, à la recherche de travail, ici les Brésiliens travaillent souvent pour des patrons portugais. »

 

« En général les hommes travaillent dans le bâtiment et les femmes deviennent femmes de ménage, mais il y a aussi des coiffeurs, des cuisiniers, des traiteurs, des infirmiers – bref il y a de tout. Ils inscrivent leurs enfants dans les écoles belges. Ils recréent aussi des lieux de culte – une église catholique à Saint-Gilles, le culte en portugais de l’église de la place Flagey, une église baptiste, plusieurs succursales du culte évangélique Assembléia de Deus, d’autres lieux de culte évangéliques, même deux lieux de culte spiritiste. Ils ouvrent des bars, des restaurants – le Bossa Nova, la Cantina, l'Autre Cantina, le Puro Brasil, l'Aquarela Brasil, la Canoa Quebrada, le Dona Flor, le Show Brasil... Ils sont reconnus comme des clients potentiels et courtisés par les négociants : je découvre ainsi des commerces belges avec le drapeau brésilien et l’inscription « fala-se portugues ». Ils publient des journaux – « AB Classificados », « Brazuca », "Brasil etc" (parfois coédités en France, en Angleterre, en Belgique, en Suisse ou au Luxembourg). Ils créent des groupes de capoeira (un art martial afro-brésilien) et des groupes musicaux. Ils organisent des fêtes de fin d’année, des fêtes de carnaval. Ils envoient de l’argent au Brésil (l’économie brésilienne doit une partie son essor actuel à l’envoi d’argent des brésiliens à l’étranger). En d’autres mots, malgré leur situation précaire et illégale, les Brésiliens de Bruxelles s’agitent et s’organisent » poursuit Susana Rossberg.

 

 

Des touristes spéciaux

 

Comme ces « touristes » Brésiliens n'ont pas le droit de s'installer en Belgique, ils doivent souvent faire face aux contrôles des autorités belges qui décident parfois, après une détention administrative, d'expatriés les personnes en situation de séjour irrégulier sur le territoire. Ainsi, en 2007, 709 Brésiliens ont été détenus dans un des six centres fermés que compte le Royaume de Belgique, d'après les statistiques de l'Office des étrangers. 709, c'est un chiffre relativement important par rapport à une population brésilienne quasi-invisible dans la sphère médiatique belge. Dans son rapport inédit sur « les Brésiliens récemment arrivés en Belgique » dressant un portrait sociologique très précis de cette communauté latino-américaine, Mônica Pereira rapporte même que l'Office recense actuellement 3.949 Brésiliens inscrits légalement dans ce petit pays qui compte officiellement dix millions d'habitants. Un chiffre auquel il convient d'ajouter les quelque 3.000 Brésiliens naturalisés belges, selon des estimations, ce qui donne approximativement une population de 7.000 personnes d'origine brésilienne résidant légalement en Belgique. Si l’on tient compte des Brésiliens en situation irrégulière, en regardant les estimations du ministère brésilien Affaires étrangères et celles de services fédéraux de l'Inspection sociale, le nombre total de Brésiliens en Belgique grimpe cependant rapidement pour atteindre les 40 à 50.000 personnes.

La plupart de ces Brésiliens sont originaires soit de la ville de Goilàna dans l'Etat de Goiàs, soit d'Uberlandia dans l'Etat de Minas Gerais. « Il n'y a pas vraiment d'explications à ce phénomène si ce n'est le bouche à oreille qui fonctionne dans ces régions, l'absence de visa pour entrer en Belgique et un meilleur niveau de vie comparé à d'autres pays européens », explique Mônica Pereira, ex-correspondante à Paris de l'hebdomadaire portugais Visão qui dirige aujourd'hui à Saint-Gilles l'association Abraço (du verbe enlacer, serrer dans les bras), spécialisée dans l'assistance juridique, médicale et sociale apportée aux Brésiliens de Belgique.

 

 

Le cauchemar bruxellois

 

Les « Goianos » et les « Mineiros » résidant en Belgique ont généralement suivi un enseignement secondaire complet, mais disposent d'une faible qualification et peu d'expérience professionnelle spécifique. Agés de 20 à 35 ans, ces jeunes brésiliens débarquent à la Gare du Midi, souvent après une escale à Paris, dans l'espoir de gagner suffisamment d'argent pour aider la famille au pays, faire venir les enfants et le conjoint, s'acheter une voiture, construire une maison ou créer une entreprise au Brésil. Mais avant d'accéder au rêve, les Brésiliens doivent vivre le cauchemar bruxellois : les logements insalubres, la barrière de la langue, l'accès limité à l'éducation, le travail en noir, la désinformation sur l'accès à l'aide médicale urgente, le trafic des faux papiers portugais, les fausses promesses de régularisation colportées par certaines églises ou associations louches, la prostitution et la crainte de l'expulsion souvent appelée « déportation ».

 

« L'émigration des Brésiliens ne s'est pas naturellement portée vers les pays européens. Jusque dans les années 80 et 90, les Brésiliens partaient surtout vers les Etats-Unis car les billets d'avion étaient et sont toujours beaucoup trop chers pour atterrir à Paris. Après avoir rassemblé quelques économies, certains ont réussi le voyage vers l'Europe et ensuite le reste de la famille a rejoint le travailleur installé légalement ou illégalement. On a connu la vague des réfugiés politiques fuyant la dictature brésilienne, j'en parle dans le film d'ailleurs, mais aujourd'hui les migrants sont pour la plupart des personnes à la recherche d'une meilleure situation économique car l'écart salarial entre les régions pauvres au Brésil et Bruxelles est énorme", ajoute la réalisatrice Rossberg.

 

Son film relate effectivement les propos très émouvants de Caroline Serra qui lit un témoignage provenant de sa mère, Maria Sueli Perez, une réfugiée politique brésilienne ayant d'abord fui la dictature brésilienne pour se réfugier dans le Chili de Salvador Allende. Plus tard, quand Maria a dû fuir la dictature chilienne d'Augusto Pinochet, cherchant un nouveau refuge dans un autre pays sud-américain, elle s'installera presque par hasard en Belgique grâce à la solidarité des mouvements sociaux.

Dans le documentaire, Maria commence à lire en portugais (traduit en français par sa fille) un extrait littéraire qui exprime bien son engagement social : « Aucun peuple qui passerait par l'esclavage comme routine de vie pendant des siècles n'en sortira sans en être marqué de manière indélébile. Nous tous, Brésiliens, sommes chairs de la chair de ces Noirs et des indiens suppliciés. Nous tous, Brésiliens, sommes tout autant la main possédée qui les suppliciaient. La douceur la plus tendre et la cruauté la plus atroce se rencontre pour faire de nous les gens sensibles et patients que nous sommes ainsi que les gens insensibles et brutaux que nous sommes aussi. Le plus terrible de nos héritages, c'est d'avoir toujours en nous la cicatrice du tortionnaire imprimé dans notre vie et prête à exploser en une brutalité raciste et classiste. C'est cela qui se remarque aujourd'hui de manière incandescente dans toutes les autorités brésiliennes toujours prédisposées à torturer, agresser, écraser les pauvres qui tombent entre leurs mains. C'est lui qui pourtant par son indignation croissante nous donnera la force demain pour maîtriser, posséder et créer ici une société solidaire". »

 

Les propos de l'artiste brésilienne Ines Olude da Silva mérite également d'être relatés car son parcours ressemble à tellement d'autres histoires personnelles vécues par d'autres : « Au début, c'était très raciste ici en Belgique. J'ai vécu beaucoup de discriminations. Cette histoire était un vrai cauchemar. Je me suis dit que je peux quand même faire quelque chose. Je ne pouvais évidemment pas changer la tête des gens, mais je pouvais au moins m'affirmer dans mon identité. Alors j'ai commencé à être obsédé par l'histoire de l'esclavage, je pêchais toutes les images que je trouvais partout à ce sujet. Petit à petit, j'ai trouvé le besoin de faire quelque chose avec ces images et j'ai donc fait des tableaux. Professionnellement, je n'ai jamais pu avoir un travail fixe. Au départ, j'étais Noire, après je suis devenue étrangère et maintenant je suis vieille, je n'ai donc jamais pu faire partie du profil recherché. Chaque fois que je postulais pour quelque chose, on me répondait que j'avais un bon CV mais que malheureusement je ne faisais pas partie du bon profil. »


Mehmet Koksal

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