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24 septembre 2011

La fiction des « relocalisations » partie I

Par François Ruffin, - 22/09/2011

Le journal Fakir est un journal papier. Il est en vente chez tous les bons kiosquiers ou sur abonnement. Il ne peut réaliser des enquêtes, des reportages, que parce qu’il est acheté.

Ça a l’air sympa, les « relocalisations » : un refrain joyeux, entonné du MEDEF aux socialistes, en passant par l’UMP, les écolos – et jusqu’au NPA. Mais ça représente combien d’emplois ? Presque pas. Derrière ces couplets optimistes, c’est le lâchage de la classe ouvrière qui se poursuit : plutôt que d’affronter la réalité, une industrie vendue à la découpe, on préfère le faux-nez des bonnes nouvelles. Un monde merveilleux où tout ira mieux…

Made in Picardie

J’ai reçu ça dans ma boîte aux lettres (parmi tous les courriers d’abonnés). C’est le magazine du Conseil régional de Picardie. Chaque année, nos élus célèbrent le « Printemps de l’industrie ». Et cette année, « le thème est celui des relocalisations » : « Nous constations depuis quelques années un mouvement, éditorialise en page 3 Claude Gewerc, le président de la Région (qui se gratte le menton, sur la photo, comme un vrai éditorialiste parisien). Il y a des exemples pour les cosmétiques, la pharmacie, le mobilier de bureau, la mécanique. Des activités implantées en Espagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ou en Chine viennent ou reviennent en Picardie… C’est loin d’être suffisant, mais c’est un démenti cinglant aux discours sur les 35 heures et les charges sociales qui seraient trop lourdes. »

Je feuillette jusqu’au dossier « Made in Picardie ». « Un certain nombre d’entreprises picardes ont relocalisé leurs activités, nous informe-t-on. Pourquoi ? Dans un souci de réactivité au marché, pour avoir une meilleure compréhension des attentes des consommateurs, en un mot, pour plus de proximité. » Mais justement, dans les seize pages qui suivent, seize pages de dossier (pire que Fakir !), je n’aperçois aucun exemple de « relocalisation ». Aucun cas concret. Aucune statistique. Aucune évaluation. Rien. Du coup, j’appelle le journal et je tombe sur une rédactrice, courtoise :
Vous l’avez trouvé intéressant, ce dossier ?
Ben oui (je suis un garçon poli). Mais y a pas un seul exemple de relocalisation…
Attendez… (Elle re-parcourt le numéro.) C’est vrai. Vous avez raison.
En revanche, moi, si vous voulez, des exemples de délocalisations, je peux vous en donner un paquet…
Oui, moi aussi.
Avec combien d’emplois sont supprimés à chaque fois, et donc qu’on parle de relocalisations moi...
Ok d’accord, OK d’accord. Mais je ne peux pas vous répondre. Communiquer là-dessus, c’est un choix politique. Vous devriez contacter le cabinet du Président. 

J’obéis, moi, je suis les consignes. Rendez-vous est pris avec René Anger, le directeur de cabinet.

Méthode Coué

Monsieur Ruffin ?
Oui ?
Vous pouvez me suivre…   Derrière l’assistante, je m’avance vers la présidence du Conseil Régional. Sauf que je ne suis pas venu seul…
Mais, qui sont ces messieurs ?
Je vous présente José Matos, ancien délégué CFDT de Parisot-Sièges de France… et son collègue…
Mais ça n’était pas prévu, ça.
Ben, je me suis dit, eux, les relocalisations/délocalisations, ils connaissent ça très directement… Et ça ne dérangera pas un socialiste de recevoir des syndicalistes…
Attendez-moi ici, je vais voir. 
Elle a l’air fâchée.
On se rassied tous les trois dans nos fauteuils design. Des portes claquent, au loin. On entend des murmures. Les planchers grincent. La collaboratrice revient :
Monsieur René Anger, le directeur de cabinet, est occupé, regrette-t-elle froidement. Mais deux techniciens vont vous recevoir.
Nous, on voulait rencontrer les politiques. C’est une question politique.
Ils ne sont pas libres. 
Bon, allons-y pour les techniciens. On prend ce qu’on nous donne, une chargée de mission « développement économique » et un autre en « insertion sociale » :
D’après vos statistiques, combien existe-t-il de relocalisations ?
On n’est pas l’INSEE, ici. Je peux juste vous dire qu’on en a. C’est une tendance.
Mais à vue de nez, ça représente quoi ? Des centaines d’emplois ? Des milliers ? Ou juste quelques dizaines ?
– Pffff… Mais sur toute la Picardie, comment vous voulez qu’on sache ça ?
– Ben parce que moi, pour les délocalisations, je sais.  Je sors alors deux tableaux que j’ai commandé à l’INSEE. Ces deux tableaux présentent les 30 premières entreprises de la Somme, l’un 1996 et l’autre en 2008.
Qu’est-ce que vous voulez dire ? reprend le technicien. Que le volume des relocalisations est sans commune mesure avec les délocalisations ? Que c’est un peu l’arbre qui cache la forêt ? Eh bien oui, c’est vrai. On le sait.
Alors, pourquoi vous ne le dites pas ? C’est du mensonge par omission.
Mais qu’est-ce que vous voulez ? s’énerve un peu sa collègue. On vit dans le marché, on subit les lois de la mondialisation. Maintenant, essayons de tirer notre épingle du jeu.
– C’est de la méthode Coué.
Pour les meubles, par exemple, puisque Monsieur Matos est présent : il est quelque part dicté que les canapés seront fabriqués ailleurs. Parce que le coût de la main d’œuvre est inférieur. On vit dans un marché mondial, donc il faut du soutien à l’innovation, à la formation, aux nouvelles technologies. 
Je suggère alors une double tactique :
Que vous bricoliez, à votre niveau, je le comprends. Donc, allons-y pour la formation etc. Mais à l’échelon du dessus, la région Picardie devrait aussi avoir une réflexion politique. Vu les coups encaissés par l’industrie, par les ouvriers, nos élus devraient intervenir auprès des autres conseils régionaux, des départements, de la direction du PS, et pousser pour qu’on ne subisse plus, passivement, comme vous dites, ‘les lois de la mondialisation’. Or, là, il n’y a pas une tribune, pas un mot, pas une réflexion sur le protectionnisme par exemple.
Que voulez-vous ? On vit dans le monde dans lequel on vit. Sur ce point, je ne saurais la contredire.

La fuite

27 mars 2011, deuxième tour des cantonales. Au Conseil général, les résultats s’affichent et on croise René Anger, dans sa veste en cuir noir.
Bonsoir, Monsieur Anger. Je souhaite vous renouveler ma demande d’entretien sur les relocalisations. Apparemment, vous n’étiez pas disponible la première fois…
Nan mais j’ai… j’ai rien à dire…
Vous avez consacré un dossier à ça, pourtant.
Tout est dans les pages…
Y a pas un seul exemple de relocalisation dans votre magazine.
Vous avez vu mes services techniques. J’ai rien à ajouter de plus.
– Oui mais, les services techniques ne m’ont rien dit sur les délocalisations. Et c’est bien vous qui êtes le responsable de la communication ?
Oui, mais j’ai rien à dire…
C’est bien vous qui avez décidé de faire un dossier sur le relocalisations ?
J’ai rien à dire.
C’est bizarre. Vous êtes le responsable de la com, vous consacrez un dossier aux relocalisations, et quand on vous pose une question, vous n’avez rien à dire…

C’est vraiment bizarre.

Il fuit vers le bar select, au milieu de ses copains. Je le hèle encore, quand même : Monsieur Anger… Monsieur Anger… Le Département reste à gauche : ce sera champagne, ce soir...

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