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Yonne Altermondialiste
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26 décembre 2013

Chez Lip, les PME ont remplacé les montres

Il y a quarante ans, à Besançon, le combat des salariés de Lip avait enflammé la France ouvrière. Après deux tentatives d'autogestion, le site accueille aujourd'hui 65 entreprises et 800 emplois.

Les Echos n° 21478 du 15 Juillet 2013 • page 10

 

http://www.lesechos.fr/15/07/2013/LesEchos/21478-044-ECH_chez-lip--les-pme-ont-remplace-les-montres.htm

 

C'est un hôtel d'entreprises comme il en existe des milliers en France. Un vaste ensemble de bâtiments industriels aux nombreuses et larges fenêtres, typique des usines d'horlogerie des années 1960, situé en lisière du quartier bisontin de Palente et de la zone industrielle de Thise-Chalezeule, dans lequel vont et viennent chaque jour près de 800 salariés. Difficile d'imaginer que ces lieux ont été le théâtre de l'une des plus incroyables sagas de l'histoire ouvrière des années 1970 : celle des Lip. A l'époque, ils sont plus d'un millier à franchir quotidiennement le grand portail pour venir confectionner des montres réputées dans le monde entier. Dirigée par Fred Lip, le dernier d'une famille d'entrepreneurs, l'usine a été construite à la fin des années 1950 dans le parc d'un château, dans ce quartier populaire qui deviendra un haut lieu du syndicalisme français. Elle propose jusqu'à 250 modèles de montre pour une production de 600.000 pièces par an. Les bâtiments occupent 9 hectares. Ils remplacent l'usine historique de la rue des Chalets, devenue vétuste. « La nouvelle usine était très fonctionnelle, très vitrée, on se voyait d'un bâtiment à l'autre », se souvient Charles Piaget, l'un des leaders syndicaux du mouvement.

Mais, malgré cette vitrine, Lip est en difficulté économique. Concurrencée par les montres bon marché et japonaises, la société, propriété du groupe suisse Ebauches SA, dépose le bilan le 17 avril 1973. Mai 68 est encore dans tous les esprits et 200 des 1.200 salariés entrent alors en résistance. L'expérience autogestionnaire s'impose assez vite. Après avoir séquestré le syndic et les administrateurs judiciaires, puis les avoir relâchés à l'arrivée du préfet et des CRS, ils ont cette idée qui fait d'eux des « héros » : se saisir du stock de montres, 60.000 pièces, dont certaines de grande valeur, un trésor de guerre qu'ils cacheront puis revendront au détail pour se payer; et se remettre à produire.

« C'est possible. On fabrique. On vend. On se paie ! » Le slogan des salariés est alors sur toutes les lèvres. Dans les milieux ouvriers et politiques de gauche, l'idée de l'autogestion fait son chemin et les Lip montrent la voie. A la manifestation du 29 septembre, à Besançon, défileront plus de 100.000 ouvriers et sympathisants, venus de toute la France. L'initiative bisontine enflamme le monde ouvrier et affole les milieux politiques et économiques. Antoine Riboud, du CNPF, et Michel Rocard, du PSU, désignent Claude Neuschwander, numéro deux de Publicis, pour reprendre le pilotage de Lip. Il arrive en terrain connu. « J'avais vu construire cette usine très moderne », se souvient-il. « A mon arrivée, en janvier 1974, elle était occupée par les CRS et j'ai dû gagner mon bureau avec un sauf-conduit délivré par le préfet. » Pour tenter de la comprendre, Neuschwander passera le premier week-end seul dans l'usine. « Les CRS étaient partis. Je suis allé sur le toit et là j'ai trouvé quelques cocktails Molotov que j'ai dû descendre. La pelouse a mis six mois à s'en remettre ! »

Pépinière d'entreprises

De nouveau, Lip dépose le bilan en 1976. L'entreprise est liquidée en 1977 après une nouvelle tentative d'autogestion. La marque fut rachetée par Kiplé et les irréductibles Bisontins tentèrent, en vain, de former une « coordination des entreprises françaises en lutte », puis de recréer des emplois en suscitant des coopératives. Une coopérative Lip existe d'ailleurs toujours sur le site, qui a repris l'activité mécanique de précision.

Une sorte d'union sacrée pour l'emploi s'établit ensuite entre le maire PS, Robert Schwint, et le président de la CCI du Doubs, Jean Michel. Avec la chambre de commerce, la ville rachète les 10 hectares du site et fonde le Syndicat mixte de l'espace industriel de Besançon-Palente en 1985 pour gérer sa reconversion sous forme de Zac. Louis Martin, technicien municipal, pilote côté ville le « remplissage » de la friche : « L 'objectif était de sauver les locaux, qui avaient été vandalisés, et d'en refaire un pôle d'activité. Cela a pris des années. Breitling a été l'un des premiers à s'installer. On avait monté le dossier avec Michel Viennois, de la CCI, et on avait accepté les aménagements demandés. Breitling avait finalement préféré Besançon à Paris. » Il y eut ensuite le service international du courrier de La Poste, puis un transporteur, l'association Energies Cités... Une fois le site rempli, le syndicat mixte fut dissous en 2004.

L'Espace industriel de Palente est aujourd'hui une copropriété comptant 65 entreprises, dont 30 sont accueillies en pépinière. Le bureau de Fred Lip abrite une association d'aide à la création d'entreprise, BGE. En avril, pour les quarante ans de la lutte des Lip, son directeur a invité Charles Piaget et Rolland Vitto, un autre leader du mouvement, à venir raconter leurs aventures aux plus jeunes. Quarante ans après, leur colère et leur indignation sont intactes.

 

Correspondante à Besançon Monique Clemens
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