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5 janvier 2013

J'y étais... avec les sans-abri des beaux quartiers

M le magazine du Monde | 04.01.2013 à 15h52 Par Guillemette Faure

 

http://www.lemonde.fr/style/article/2013/01/04/j-y-etais-avec-les-sans-abri-des-beaux-quartiers_1812289_1575563.html

 

On reconnaît les volontaires des Enfants du Canal à ce qu'ils ne reconnaissent pas Isabelle Huppert. Ils viennent de la croiser en traversant le boulevard Raspail. Ils repèrent en revanche Patrick, un SDF planté à côté d'un distributeur de billets à l'angle de la rue de Luynes. En "maraude de jour", deux jeunes en service civique épaulés par une éducatrice rendent visite aux sans-abri. Le hasard veut que la tournée d'aujourd'hui se fasse dans les VIIe et VIIIe arrondissements. Si le prix du mètre carré est plus élevé dans ces quartiers parisiens, ce n'est pas le cas de celui du trottoir. Une centaine de SDF s'y sont "sédentarisés".

Patrick, par exemple, dans le VIIe après des années dans le vie, parce que, croit-on comprendre, sa mère travaillait dans le quartier. Il est installé là, à l'angle du boulevard Raspail car, nous explique-t-il, "c'est bien pour faire un peu de relationnel". Il a les cheveux gris et longs, les yeux bleus, l'archétype du portrait que Christophe Louis, le directeur des Enfants du Canal, m'a fait des sans-abri des beaux quartiers : "Des personnes plus âgées, peu d'addictions fortes, ils se mettent là parce que c'est plus tranquille." Non, il n'a pas froid, il a sa veste. Et sous sa veste, il a une doudoune. Et sous sa doudoune, il porte une polaire. Il passe la nuit à côté de l'église, "mais pas seul, il y a du monde qui dort à côté, on est quatre". Pas très loin, ils sont une dizaine à dormir près du musée d'Orsay. Jézabel lui demande s'il a besoin d'un sac de couchage. "J'ai mieux, j'ai une couette." Le sac de couchage, explique-t-il, c'est pas si pratique. La fermeture Eclair se coince et quand c'est séché à la machine, "y a plus rien".

PLUSIEURS VISITES

Patrick est intarissable sur les effets de la chaleur sur le synthétique. A sa droite, un sac plastique. A sa gauche, un petit sac à dos délavé. Et sur ce sac à dos, un petit chargeur solaire. "Dans mon sac, j'ai un iPad", assure-t-il. Voilà pour ce qu'il a. Ce qu'il n'a plus : une famille"il y a eu de la casse" –, un toit et des papiers. De l'autre côté du boulevard, indique-t-il, il y a des mecs de l'Est. Effectivement, Raphael et Adam, assis à l'arrêt du bus 68, sont de Pologne. Andréa, des Enfants du Canal, parle tellement doucement que j'ai souvent du mal à l'entendre. Mais les SDF n'ont jamais besoin de lui demander de parler plus fort. Tête rasée, Raphael remonte sa manche quand Andéa lui demande comment ça va. Pour lui montrer le pansement de la perfusion encore frais, le bras bandé. Il raconte avoir été maltraité à l'hôpital, d'où il est parti en cours de soins quand le sang a giclé de sa main. Mais il explique aussi que, comme son voisin ronflait, il a "attrapé le mec et (l'a) jeté comme ça". Derrière eux, la publicité pour l'épargne évolutive du CIC. "Plus vous restez, plus le taux grimpe."

Les deux hommes racontent comment ils s'en sortent en se moquant l'un de l'autre et avec quelques bras d'honneur. Et, au moment de se dire au revoir, une question sur quelque chose à manger. L'équipe de maraude n'a rien sur elle, mais leur donne les jours et lieux de passage des Bus du cœur. Les deux SDF ne voulant pas aller à Saint-Lazare, mal fréquenté, relèvent l'adresse des Invalides. C'est assez typique de formuler aussi peu de demandes, m'explique Jézabel l'éducatrice. Elles s'expriment après plusieurs visites, comme celles faites à deux hommes assis à l'angle de la rue du faubourg Saint-Honoré et de la rue de Berri avec qui ils prendront rendez-vous pour apporter un sac de couchage le lendemain. Derrière les bouches d'aération, deux bouteilles de Moët et Chandon apportées par des voisins. "C'est pas trop chaud ?", demande Jézabel en posant la main sur la plaque sur laquelle l'un d'eux est assis. Les brûlures qu'occasionnent les bouches de chaleur associées à l'usage d'une couverture de survie peuvent avoir des effets dramatiques. "Non, ça va", blaguent-ils, en montrant les bouteilles de champagne. "On les garde pour plus tard."

Guillemette Faure

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