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2 février 2013

«L’Etat doit aider les gens, pas l’entreprise»

Joseph Stiglitz, Nobel d’économie 2001, fustige l’austérité et appelle à «façonner les forces du marché».

Par CHRISTIAN LOSSON

10 septembre 2012 à 22:46

http://www.liberation.fr/economie/2012/09/10/l-etat-doit-aider-les-gens-pas-l-entreprise_845349

Le prix de l’inégalité ? La dégradation de l’économie, le sentiment d’injustice et la subversion de la démocratie. Telle est la thèse que l’économiste américain Joseph Stiglitz défend dans son nouvel ouvrage (éditions LLL).

En trente ans, 99% d’Américains ont vu leurs revenus n’augmenter que de 15%, quand une élite de 1% a vu les siens exploser de 150%. L’inégalité s’est-elle institutionnalisée ?

Les Etats-Unis ont montré la voie ; la France les suit. Du jamais vu depuis les années 30. Cette captation n’est pas liée à un boom de la productivité des PDG, des banquiers. Leur contribution à la société a souvent été négative. L’«économie du ruissellement» a vécu : les richesses montent vers les nantis, mais ne redescendent pas. Le mythe de la croissance équitable ne tient plus : on multiplie la privatisation de profits, la socialisation des pertes. Les mythes du rêve américain et de l’égalité des chances volent en éclat : l’Amérique est le plus inégalitaire des pays industrialisés, l’ascenseur social est bloqué.

Parce que les seules «forces du marché» ne suffisent pas ?

Les pays d’Europe du Nord le prouvent. Les forces du marché sont les mêmes partout : il faut les façonner pour qu’elles privilégient la démocratie aux intérêts particuliers. Les impôts nécessaires pour financer les prestations sociales n’étouffent pas la croissance : la Suède a connu une croissance supérieure aux Etats-Unis entre 2000 et 2010. La France a, elle, plus tendance à se rapprocher du modèle anglo-saxon que du modèle scandinave.

Vous dites que les 150 milliards de dollars (117 milliards d’euros) injectés en 2008 pour sauver l’assureur AIG de la faillite pèsent moins que seize ans d’aide aux pauvres. Est-ce comparable ?

L’Etat ne doit pas aider les entreprises, mais les gens qui en ont besoin. Si une firme ne marche pas, elle doit fermer. Dans la grande récession que nous vivons, la moitié des chômeurs n’ont pas d’assurance maladie. Et l’opacité qui entoure les aides aux entreprises par l’Etat reste totale. On ne sait toujours pas comment ont été utilisés ces 150 milliards de dollars : à part que le plus grand bénéficiaire se nomme Goldman Sachs…

La politique est, selon vous, une bataille pour une part du gâteau économique, et elle est remportée par le 1% de privilégiés. Que font les élus ?

Obama a tenté de s’attaquer au «gouvernement du 1%, pour le 1%, par le 1%», aux PDG qui ne prospèrent pas grâce à leur créativité. Il a fait trop peu et peut-être trop tard. Il a trop peu touché aux taxes sur les millionnaires, a oublié de s’attaquer au fardeau de la dette des étudiants, 25 000 à 30 000 dollars en moyenne à la fin des études. C’est la génération des jeunes diplômés endettés. Enfin, un enfant sur quatre vit dans la pauvreté.

Si les inégalités détruisent le pacte social, sapent la croissance, elles minent aussi la démocratie…

On est dans le triomphe du «one dollar, one vote» plus que du «one person, one vote» : une sorte de suffrage censitaire. La confiance chez ceux qui vivent le déclassement s’est érodée. Le sentiment d’équité et d’éthique a disparu. L’impunité de banquiers coupables règne. La désillusion prédomine. L’abstention électorale des jeunes atteint 80%. Face à un mouvement salutaire comme Occupy Wall Street, il y a une extrême droitisation avec le Tea Party. Les deux expriment la même chose : frustration et colère.

Pourquoi le capitalisme de rente et de copinage et le monétarisme tiennent-ils encore malgré la crise ?

Trop d’économistes fondamentalistes ont une croyance excessive dans la perfection du marché. Une nouvelle génération arrive qui va bousculer ce fanatisme. Mais les politiques sont responsables. Les changements sont lents. L’asymétrie et l’inégalité de la mondialisation commencent à produire des initiatives, telle la taxe Tobin.

Mais avec la crise, notamment en Europe, on prône toujours ce «fétichisme budgétaire» et cette «folle austérité» que vous fustigez.

De l’idéologie politiquement simpliste et économiquement stupide. Cela revient à dire : «Sois bon, ne dépense pas trop et tout ira bien.» Aucune économie ne s’est jamais remise d’une récession avec de l’austérité. Cela anémie l’économie, augmente les inégalités et creuse les déficits. Résultat, l’euro reste dans le couloir de la mort, l’exécution est sans cesse retardée. Pour circonscrire la crise, la BCE doit cesser de conditionner son rachat d’obligations d’Etat à des cures d’austérité. Ces saignées tuent le malade.

Que pensez-vous du choix de la France de réduire son déficit budgétaire à 3% en 2013 et d’engager 33 milliards d’euros d’économie ?

Cela me rend profondément pessimiste sur l’Europe, du moins à court terme. Cela alimentera la récession dans les grands pays quand deux autres, l’Espagne et la Grèce, sont englués dans la dépression. En France, la récession continuera, et le déficit budgétaire s’aggravera : l’Etat aura moins de revenus et plus de dépenses sociales. On peut malgré tout jouer sur quelques leviers, comme augmenter les impôts des plus riches et baisser ceux des plus pauvres pour favoriser la consommation et donc stimuler l’économie. Mais cela ne suffit pas.

Il faut des plans de relance massifs. Il y a de l’aveuglement dans cette course à l’austérité : l’histoire le prouve. L’Allemagne a justement peur de renouer avec l’inflation de l’entre-deux-guerres. Berlin a la mémoire sélective. Ce n’est pas l’inflation qui a porté Hitler au pouvoir. C’est le chômage massif. Là est le trauma économique historique : on ne peut pas vivre dans une société où le chômage, comme en Espagne, dépasse les 25% et plus de 50% chez les jeunes…

 

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