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24 septembre 2011

4000 ans de Fukushima (partie I)

Par François Ruffin, - 1er/07/2011

Le journal Fakir est un journal papier. Il est en vente chez tous les bons kiosquiers ou sur abonnement. Il ne peut réaliser des enquêtes, des reportages, que parce qu’il est acheté.

À Fukushima, on en était réduit à ça : jeter de la flotte, depuis un hélicoptère, sur les réacteurs. Avant ça, BP avait bien peiné avant de reboucher son trou au large de la Louisiane. Quand un volcan islandais éternue, c’est toute l’Europe qui s’enrhume. Et même dix centimètres de neige nous mènent au bord de la panique. Alors, est-ce que le système n’arrive pas à bout ? Est-ce que, avec toute notre technologie, on n’est pas en train de rentrer à toute blinde dans le mur écologique ? On ne serait pas les premiers à se suicider par l’environnement... Des Sumériens aux Mayas, des Anasazis aux Romains, dans Une Brève histoire de l’extinction en masse des espèces (Agone, 2010), Franz Broswimmer décrit ces civilisations disparues pour cause d’ « écocide ». à nous le tour ?

Michel Chevalet, sur i>Télé, nous cause de « turbines » , de « générateurs » , de « pressuriseurs » , de « tour aéroréfrigérante » , de « circuit primaire » , de « thermalisation des neutrons » , de « fission des noyaux » , de « fusion du cœur » , etc. On ne comprend rien à tout ce langage savant, mais cette image-là, on la comprenait bien : un hélicoptère qui, haut dans le ciel, lâchait des bonbonnes d’eau. Ça se passait au Japon, pourtant, à deux cents kilomètres de Tokyo, la « capitale du high-tech » , avec Sony, Sharp, Canon, Nikon, Toshiba, Yamaha, avec Tmsuk qui « invente le véhicule pour handicapés du futur » , avec Fujitsu qui « lance le téléphone F04-B pour afficher des vidéos, présentations et photos sur un mur » , avec le groupe informatique japonais NEC qui « travaille sur des lunettes à traduction instantanée » , etc.

Les yeux du monde étaient braqués sur Fukushima, un monde rempli d’ingénieurs, de chercheurs, de trouveurs, d’experts en à-peu-près-tout, de doctorants hyper pointus, mais au bout du bout, les voilà tout nus, réduits à ça : un hélicoptère qui, haut dans le ciel, lâche des bonbonnes d’eau.
Comme un vulgaire canadair pour un incendie de forêt.
Comme un gamin qui pisse sur les braises d’un feu de bois.
Le degré zéro de la technique.

Y avait eu BP, déjà. Vous avez oublié ?

Un problème de chasse d’eau, au large de la Louisiane, à 1 500 mètres sous l’eau, et 40 000 barils de pétrole qui s’échappaient chaque jour. On était, cette fois, carrément, dans la première puissance économique et militaire du monde, l’empire de la technologie, le pays de la Silicon Valley, et avec juste quoi, comme souci ? Un trou à reboucher. Durant deux mois et demi, ils ont tout essayé, tout déployé, des sous-marins, des barrages flottants, des bras robotiques, des entonnoirs d’avant-garde, quarante-neuf bateaux, avec la ribambelle des techniciens de haut vol, les meilleurs Géo Trouvetou de la planète qui menaient l’opération « Top Kill » pour finalement, impuissants, se déclarer « anéantis, littéralement dégoûtés » .

Eyjafjöll, aussi.
Mais si, vous savez, ce volcan islandais. Il éternue, et voilà toute l’Europe qui s’enrhume, toute son élite qui panique, ses avions qui sont cloués au sol, les vacanciers en colère, « les marchandises qui périssent » , « les pièces de rechange non acheminées » , un « scénario -catastrophe » , une perte de 150 millions d’euros pour les cinq premières compagnies aériennes, 650 millions de dollars pour l’économie américaine, etc.

Et dix centimètres de neige, cet hiver ?
Des « naufragés de la route » par milliers, les TGV à l’arrêt, les aéroports bloqués – et, au moment de Noël, un « impact sur les ventes entre 1 et 5 % pour la grande distribution » .

Tout ça, en à peine un an.

C’est comme si, notre système, qui paraît si solide, si intelligent, avec ses réseaux wifi, ses satellites, ses puces électroniques, eh bien, c’est comme si un rien, quelques flocons, un volcan qui pète, un séisme, suffisaient à le gripper, ce système. Comme s’il ne s’agissait que d’un colosse aux pieds d’argile, prêt à s’écrouler, d’un coup. Avec la technologie comme talon d’Achille. Elle qui fait notre force, notre puissance, en apparence. Mais dont nous sommes devenus dépendants pour chacun de nos gestes (pour écrire, même, tiens, à l’instant – sur ce clavier relié à une centrale).

À chacun de ces épisodes, j’ai songé à un livre : Une Brève histoire de l’extinction en masse des espèces (Agone, 2010). Et plus particulièrement, à un chapitre de ce livre, le deuxième, « les bévues écologiques de l’Antiquité » . L’auteur, Franz Broswimmer, un universitaire américain, y raconte comment des civilisations, sans doute les plus sophistiquées de leur temps, ont disparu – et en partie à cause, justement, de leurs sophistications. La question, en lisant ça, revient, lancinante : est-ce qu’on emprunte le même chemin, de l’ « écocide » au suicide ? Est-ce que, aveugles, amnésiques, on est condamnés à répéter la même histoire – mais au niveau global, désormais ? Est-ce que plus de technique, constitue la solution (pour une croissance propre, pour plus de sécurité, etc), ou au contraire le problème ?

La chute par le sel

Les Sumériens.Sud-ouest asiatique, 3700 à 1600 avant J.C.

C’était le « jardin d’éden » de la Bible, au départ, on suppose. Avec sa faune, ses moutons à longue queue dans les marais, ses oiseaux à chasser entre les fleuves. Avec sa flore, aussi, ses vignes, les grands jardins de Babylone qui donnent des légumes en abondance. Si cette culture s’avère prospère, c’est grâce, notamment, à l’irrigation. Qui sera la force, mais aussi la faiblesse, des Sumériens. Avec les bons rendements de ses terres, environ 10 % de la population est libérée des travaux agricoles. Dans les villes, naît une société hiérarchisée : une classe supérieure de prêtres et de guerriers, une classe moyenne de marchands et d’artisans. Et des intellectuels, aussi, sans doute : les Sumériens inventent la roue, cartographient des constellations célestes, mettent au point un système arithmétique (en base 60, d’où nos heures de 60 minutes, nos minutes de 60 secondes). Et pour nourrir ces bouches, pour payer leurs impôts, pour exporter, bref, pour que le système tourne, il faut que les paysans produisent en quantité. De plus en plus.

Mais, justement, l’inverse se produit : les récoltes de blé diminuent. C’est que les sols irrigués se salinisent. On passe donc à l’orge, plus tolérant au sel. Là encore, les moissons déclinent. On sur-irrigue pour compenser. On raccourcit les cycles de jachère – et le problème s’accentue. On déforeste, du coup, pour cultiver de nouvelles terres. Pour bâtir des maisons, également. En quelques siècles, les limites de l’expansion sont atteintes. Les rendements tombent de plus de 40 %. L’agriculture s’effondre – et la civilisation sumérienne avec.

À Koudougou3 600 ans plus tard (environ), je rencontre le père Maurice Oudet, missionnaire au Burkina Faso, en séjour à Paris. Et que me raconte-t-il ? « Nous rencontrons des difficultés avec la préservation des sols. Le système traditionnel fonctionne jusqu’à 30 habitants au kilomètre carré. à 60, si vous n’avez pas changé de système, c’est la catastrophe. C’est que vous avez, en fait, changé de système, mais sans le savoir : vous avez aboli la jachère. Avant, un terrain était cultivé trois années de suite, puis le paysan partait ailleurs. Maintenant, à Koudougou, il n’y a plus de jachère. » J’avais l’impression qu’il me causait de la Mésopotamie…

Extrait du livre : Dans ces premières civilisations, remarque Franz Broswimmer, « la structure sociale hiérarchique modifie les relations des hommes avec leur environnement. On maximise la production en augmentant la productivité des terres agricoles ou les surfaces cultivées. Accroître la superficie cultivée conduit à défricher des zones boisées, à assécher des marais, et à mettre en culture des terres marginales sensibles à l’érosion et à d’autres formes de dégradations écologiques. L’avènement de sociétés agricoles complexes distend et, souvent, affaiblit le lien entre les hommes et la nature. Celle-ci, normalement milieu de vie de l’agriculteur, devint pour le groupe dominant une sorte d’ensemble de ressources économiques à gérer et à manipuler. Cela est particulièrement vrai des civilisations où les classes dirigeantes sont citadines, comme dans l’Antiquité gréco-romaine. En effet les Grecs, et plus tard les Romains, ne réussissent guère mieux que les Sumériens à produire une civilisation écologiquement durable. »
La course au bois

Les Grecs. Méditerranée, 70 à 30 avant J.C.

« Ce qui subsiste aujourd’hui, comparé avec ce qui existait autrefois, est comme le squelette d’un homme malade. Toute cette terre grasse et molle s’étant épuisée, il ne reste que le squelette décharné du pays. » Une tristesse saisit Platon lorsqu’il regarde son pays. C’est qu’à Athènes, les 100 000 habitants souffrent – déjà – de l’encombrement, du bruit, de la pollution de l’air, de l’accumulation des déchets, des épidémies. Et dans les campagnes alentours, les forêts sont grignotées.

Pourquoi faire ? La guerre, surtout. Les arbres sont transformés en armes, ou en navires. Dès le milieu du Vème siècle avant J.C., l’Attique est largement déboisée — et les Grecs vont s’en aller, plus loin, toujours plus loin, chercher cette ressource. Comme d’autres le pétrole. Les diplomates athéniens mènent une politique extérieure agressive : à la Macédoine, région forestière, ils font signer des accords avantageux – et quand leurs partenaires refusent, ce sont de nouvelles batailles. Des colons, ou des religieux, sont envoyés sur les côtes boisées d’Italie. Vers la Sicile, le général Alcibiade tente un raid pour accéder à de nouvelles forêts : l’expédition échoue mais, avant la fin de l’Antiquité, les hautes futaies de l’île seront néanmoins rasées. Et derrière, en Grèce, rien ne repousse : les chèvres, ces « sauterelles à cornes » , dévorent le moindre arbuste...

Extrait du livre : « Le déclin d’Athènes, conclut Franz Brozwimmer, peut donc être lié à son incapacité à entretenir l’écosystème forestier. De grandes parties de ces régions sont maintenant des déserts stériles, la plupart des cités anciennes sont abandonnées, et la population locale actuelle ne garde bien souvent qu’un bref souvenir conscient de son passé social et écologique. Certes, les conflits civils, la guerre, la famine et la maladie ont contribué à la disparition des civilisations anciennes, mais l’appauvrissement de leurs ressources biologiques est l’une des causes principales de leur déclin. La pénurie d’eau et le changement climatique ont dans nombre de cas donné le coup de grâce. »

Lire la suite : 4000 ans de Fukushima (partie II)

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